1 - Emetteur

L'étude des lampes des temps héroïques, disons avant 1925, débouche inévitablement sur le désir de leur redonner vie...

Si les récepteurs de l'époque sont utilisables pour recevoir France Inter ou d'autres stations des "grandes ondes", nombre d'entre eux sont capables de perturber le voisinage par les accrochages de détectrices à réaction plus ou moins virulentes.

Coté émission il n'y a pas grand chose a espérer des rares émetteurs rescapés d'une époque où les auto-oscillateurs se promenaient (le terme est exact) vers 200 mètres tout en occupant un volume imposant.

La lecture attentive des revues de "TSF" du moment démontre que, si les lampes sont déjà remarquablement conçues par les grandes Sociétés (LA RADIOTECHNIQUE-FOTOS-GRAMMONT-R.C.Aetc.), leurs limitations naturelles (faible puissance, pente réduite, fortes capacités internes...) rebutent l'utilisateur moyen qui travaille le plus souvent avec un empirisme total. Ceci est tout à fait compréhensible en un temps où n'existent ni composants de qualité (résistances, condensateurs) ni instruments de mesure tels que nous les connaissons.

Tout est a essayer... à créer... On peut rêver en pensant à ce qu'auraient fait ABRAHAM- HOLWECK - LANGMUIR en disposant d'un oscilloscope 2x20 MHz, instrument pratiquement banal de nos jours... On en était alors à des appareils très complexes et inutilisables en dehors d'un laboratoire de physique. En 1922/1923 la revue 'l'Onde Electrique' donne la description du matériel mis au point par A. DUFOUR.

Par ailleurs on remarque la part importante prise par de nombreux docteurs en médecine dans l'animation des clubs d'amateurs de TSF ; ceci en raison de leur formation scientifique les rendant plus réceptifs (... ! ...) que le commun des mortels.


divers composants


Divers composants... (supports de lampes faits "maison")




Forts de ces réflexions nous avons pensé qu'il serait amusant de réaliser un émetteur de petite puissance utilisant les lampes de réception à chauffage 4 volts, mais monté avec les composants actuels... Mais ici pas question de pousser ces lampes dans leurs derniers retranchements... on se limite à une centaine de volts plaque, valeur voisine des 80 volts habituels pour ces tubes ; une puissance de 100 milliwatts en télégraphie étant jugée suffisante de nos jours où antennes et récepteurs seront chargés de faire la différence avec les "C119".

Après tout il n'y a que 30 dB (soit 5 points "S") entre cette modeste puissance et les 100 watts qui suffisent à un bon "graphiste" pour couvrir la planète (à condition que "Dame propagation" soit de son coté). Une construction compacte est également un objectif permettant de vérifier qu'il était possible de maitriser les accrochages et autres oscillations parasités, plaies des émetteurs du moment.

Avant de tracer un schéma nous avons étudié les caractéristiques des divers tubes susceptibles de convenir : on trouvera plus loin les courbes des R36 - 2216 - et E406 retenus pour le projet parmi d'autres tels que A409 - RRBF - NT82... de nombreux tubes sont bien sur possibles, mais nous n'en disposions pas. Ces courbes, relevées sur table traçante, sont éloquentes et, avant de les commenter, on peut citer ce qui est peut-être le premier lampemètre amateur, décrit dans "la TSF Moderne" d'avril 1923 : heureux temps où il n'y avait qu'un seul type de support pour tous les tubes à essayer : à rapprocher du cauchemar de l'ingénieur électronicien chargé de la conception d'un lampemètre dans les années 50/60 avec 20 supports de lampes et autant de commutateurs...


schéma

Revenons à nos tubes :





courbe E406 (1)


Courbes Ip/Vg relevées au moyen d' une table traçante





courbe E406 (2)


TRIODE E406




Ayant ainsi défini le but et les moyens, voyons la disposition générale de notre émetteur : un oscillateur piloté par un quartz dans la gamme amateur des 80 mètres (vers 3500/3550 KHz) nous assure une stabilité irréprochable. On notera la fréquence relativement élevée pour le genre de tubes utilisés et en tous cas nettement plus haute que les "200 mètres" des premiers essais amateurs. Un étage séparateur pour respecter un bon principe qui veut au moins un étage "tampon" entre le pilote et l'amplificateur final. Il faut toutefois rappeler que, dans les émetteurs simples d'amateurs, il y a quelques décennies, on tolérait encore l'attaque de l'étage de puissance directement par un oscillateur si ce dernier était piloté quartz. Quoi qu'il en soit nous avons prévu un séparateur pour minimiser les réactions apportées par la manipulation "CW" de l'étage final qui réagit, même très peu, sur l'étage précédent. Enfin l'étage de puissance (toute relative) qui sera manipulé par blocage de grille, en polarisant celle-ci bien au delà du point de cut-off.


oscillateur

Oscillateur : le montage PIERCE avec quartz entre plaque et grille fonctionne à merveille quelle que soit la nature du circuit plaque ; self de choc R100 de 2,5 mH ou circuit accordé classique. Nous avons toutefois donné la préférence à une self de choc munie d'une prise au quart du nombre total de spires. On obtient ainsi un signal sous une impédance assez basse minimisant les possibilité d'oscillations intempestives de l'étage tampon. Ce premier étage, alimenté sous 100 volts, consomme 3 mA et délivre 10 volts crête à crête à vide qui passent à 5 volts avec une charge de 390 ohms. Pas de condensateur d'isolement ni d'ampoule "fusible" en série avec le quartz qui ne risque pas de se fracturer dans notre montage.

Avec l'étage tampon les choses deviennent plus intéressantes :

On sait qu'une triode dont les circuits LC grille et plaque sont accordés sur la même fréquence a de bonnes chances (?) d'osciller en raison du couplage grille/plaque par la capacité de 5 à 10 pF entre ces électrodes et autres capacités parasites du câblage ou support.

Le remède consiste à "neutrodyner" le tube, c'est-à-dire renvoyer sur la grille, à partir du circuit plaque, un signal égal au perturbateur dû à la capacité grille/plaque, mais déphasé de 180 degrés. De nombreux circuits de neutrodynage existent et sont exposés en détail par les bons auteurs, notamment E. CLIQUET dans "Emetteurs de petite puissance sur O.C".




Avant de décrire le circuit (classique) retenu, quelques mots sur deux autres montages, plus récents et plus simples, mais d'emploi difficile dans notre cas : le neutrodynage shunt place une self en parallèle sur la capacité grille/plaque pour former un circuit bouchon dont les réactances, de sens opposé, annulent le report d'énergie plaque/grille. L'avantage d'un circuit plaque conventionnel, sans prise, avec un condensateur variable d'accord dont la partie mobile est au potentiel de la masse, est contrebalancé par la difficulté de déterminer en pratique la valeur de la self assurant ce neutrodynage. Dans notre cas, aux essais, cette self dont la valeur est théoriquement voisine de 200 microhenrys, donc de relativement forte valeur, qui doit de plus être réglable (noyau) , présente inévitablement une capacité parasite non négligeable, et, en tous cas, au moins égale à celle qu'elle est censée compenser...

Ceci est quelque peu chagrinant et, de plus, ne nous a pas donné des réglages aussi nets que la bonne vieille méthode du pont capacitif .

Cela n'a pas empêché ce montage de faire fureur dans les années 45/60 pour le neutrodynage des amplificateurs cascode des récepteurs de télévision.

Une deuxième méthode, toujours avec circuit plaque LC conventionnel, consiste à ne pas découpler parfaitement le coté "froid" (coté HT) du circuit, un condensateur d'environ 2000 picofarads laisse une réactance voisine de 22 ohms à 3500 KHz entre le coté "froid" de la self et la masse. A partir de ce point on prélève une tension déphasée de 180 degrés qui sera appliquée à la grille par un très petit condensateur.

Deux remarques toutefois :

Dans le cas d'une triode il nous faut compenser une capacité grille/plaque appréciable et, par suite, encore dégrader le découplage coté froid de la self de plaque... Cela se passe plutôt mal... Pourtant nous aimons bien ce circuit pour l'avoir souvent utilisé sur des 1625 - 6146 - 807 - QQE06/40... Nous aurons donc un circuit archiclassique avec bobine à point milieu et condensateur d'accord sans aucun raccordement à la masse. Ce dernier point, qui pose quelques problèmes d'isolement, "d'effet de main" ou encore de capacités parasites dans les émetteurs en "vraie" grandeur, est ici résolu facilement par les condensateurs ajustables modernes qui ne risquent pas de claquer vu la modicité des tensions mises en oeuvre.

Un grand merci au concepteur des ajustables "cloche" PHILIPS-TRANSCO 3/30 ou 6/60 picofarads : ils ont une longue carrière puisqu'on en trouvait déjà dans les tiroirs RF24/RF25 du système de navigation aérienne GEE de la R.A.F en 1942...

Le circuit plaque de l'étage tampon présente un rapport L/C pas très orthodoxe afin de, si possible , s'adapter à la forte résistance apparente du tube qui avec 3 ou 4 mA sous 100 volts n'est pas précisément dans le bas de la gamme. De plus le circuit de neutrodynage choisi impose des valeurs de self plaque relativement élevées. (Relire une fois de plus E.CLIQUET)

Le réglage de cet étage est on ne peut plus simple : SANS HT on règle le CV du circuit plaque pour un signal maximum sur cette dernière, vu par exemple sur un oscilloscope muni d'une sonde à grande impédance. Ensuite réduire au minimum ce signal par action sur le condensateur de neutrodynage... c'est tout... Une fois la HT rétablie sur le point milieu de la self on peut, après retouche de l'accord du circuit, mesurer les niveaux aux bornes de quelques tours de fil répartis au centre du bobinage plaque : de 10 volts crête à crête sans charge, on tombe à 7 volts avec une charge de 560 ohms soit une dizaine de milliwatts...

C'est évidemment fort peu mais, dans notre cas, suffisant pour une attaque en tension de l'étage final qui sera plus près de la classe A que de la classe C... En parlant de classe de fonctionnement on notera que la grille de l'étage tampon retourne à la masse à travers une résistance de 15000 ohms, donc sans polarisation. En fait les tubes peu nerveux du genre des R36/A409 tolèrent parfaitement de fonctionner sans polarisation, sans pour autant délivrer un courant excessif (et pour cause...), ils rectifient d'eux même par auto-polarisation suite au passage du faible courant de grille dans la résistance série... La classe C du pauvre... Un examen à l'oscilloscope montre que le signal présent sur la grille est réparti de part et d'autre de la masse avec un fort décalage vers les tensions négatives dans un rapport approximatif 1/4 à 3/4 ; il faut bien sûr un oscilloscope passant le continu. ABRAHAM... et les autres... auraient aimé voir cela (cf. ci-dessus).




Il faudrait aussi évoquer l'influence de la tension positive (+4 V) appliquée sur un coté du filament, l'autre étant à la masse ; de là à dire que la grille est à -2 volts moyens par rapport au filament... allez savoir... cela n'est bien sûr pas négligeable pour des tubes dont la caractéristique Vg/Ip flirte sans problème avec les tensions positives...


schéma


T1 : primaire 100 tours fil 0,27 mm sur mandrin de 13,5 mm secondaire 10 tours
T2 : primaire 116 tours fil 0,45 mm sur mandrin de 12,5 mm secondaire 6 tours
CV accord : ajustables 3/30 pF  -   Cn neutrodynage : ajustables 3/15 pF

Pour en finir avec cet étage : des essais ont montré qu'il est parfaitement possible de le faire fonctionner sans neutrodynage quelle que soit la charge ou son absence. En enlevant le quartz rien ne subsiste en sortie. Ceci est sans doute l'heureux résultat de l'emploi d'un circuit d'attaque grille a faible impédance et large bande, donc sans résonance pointue.

Comme le montage est passablement compact nous avons pris soin de découpler les circuits grille et plaque par retour unique sur le coté masse du filament. De plus tous les bobinages sont à 90 degrés les uns des autres pour éviter tout couplage magnétique indésirable. Quoi qu'il en soit le neutrodynage est indispensable, ne serait-ce que pour éviter le passage "en direct" des signaux venant du pilote qu'il n'est pas question de laisser arriver à l'antenne, "pioche" levée, si l'on décide d'appliquer aussi la manipulation sur cet étage.




Etage final : il s'agit pratiquement du même circuit que pour le séparateur, seul le tube change et devient un E406 dont plusieurs réseaux de courbes ont été relevés.


courbes

Le circuit plaque est aussi revu pour une charge statique estimée, au départ, voisine de 7000 ohms (105 volts/15 mA) et un Q en charge de 12 (cf. E. CLIQUET)... encore lui...

Noter toutefois que la résistance interne du tube, d'après le relevé des courbes Ip/Vp, est de l'ordre de 2200 ohms dans la région qui nous intéresse. Un compromis sera donc à faire.

Au bout du compte, l'étage final délivre environ 165 milliwatts à partir d'une haute tension de 105 volts, et ce sur une impédance qu'il est possible de faire varier entre 20 et 100 ohms au moyen de 4 à 8 tours de fil bobinés au centre de la self. Les rendements et puissance, au demeurant assez faibles, doivent être appréciés dans le contexte :

En premier lieu, l'étage final proche de la classe A, pourrait avoir un rendement théorique de 50%, une valeur ramenée à 15-25% étant généralement admise, ceci dans le cas d'un tube poussé à son maximum... Or ici nous avons seulement 1,5 watt sur la plaque sans oublier les autres points défavorables : tubes de réception non prévus pour l'emploi, affligés de pertes élevées à ces fréquences, notamment en raison des connexions et du culot en matière plastique de médiocre qualité. Du coté de l'étage final la E406 est très sous-alimentée et ses longues connexions internes n'arrangent sans doute rien... Souhaitant dès le départ un montage très compact... pour voir... sans aucun blindage entre étages, les bobines sont réalisées sur des mandrins de petit diamètre, en polystyrène, matière plastique que nous savons excellente à ces fréquences. Par contre le fil de diamètre 0,27 mm ou 0,45 mm des selfs plaques ne doit pas manquer de nous dévorer quelques poignées de milliwatts. On est loin des belles selfs en gros fil de cuivre pratiquement bobinées "en l'air".





émetteur terminéé


L'émetteur terminé, prêt pour les premiers essais




Le niveau des signaux harmoniques présents en sortie est raisonnablement faible, le premier (7 MHz) se situant aux environ de 40 dB sous le signal utile, soit moins de 0,02 milliwatt. Cette très faible résiduelle a peu de chances de perturber le voisinage.

Toutefois les puristes peuvent toujours prévoir un filtre passe-bas à double cellule en PI sur la sortie : Q=1 Z=50 ohms C1=C3=896 pF C2=1792 pF L1=L2=2,24 microhenrys.


filtre

Le faible niveau des signaux harmoniques découle de l'emploi du tube final dans un régime éloigné de la classe C habituelle, beaucoup plus riche en harmoniques et distorsions en tout genre. En coupant l'alimentation HT sur la E406, le signal résiduel passant à travers l'étage malgré le neutrodynage est à -60 dB avec un réglage fin (pointu...) de Cn et -45 dB après une longue période, ceci suite aux variations de l'état du tube entre mise sous tension et changement de ses caractéristiques internes. La manipulation télégraphique, par blocage de grille, est obtenue avec une tension de -28 volts qui, manipulateur levé, coupe radicalement la passage de la HF à travers la E406 : environ -50 dB sous le niveau normal. Un filtrage relativement sommaire est incorporé dans la ligne de polarisation pour adoucir les transitions ON/OFF de l'émission et ne pas occuper une place abusive sur une bande 80 mètres passablement encombrée : la valeur du condensateur C* sera de 0,1 à 0,3 µF, déterminée en examinant à l'oscilloscope (et à l'oreille) les transitions au rythme de la manipulation. Rançon de la simplicité de ce filtrage, les transitions sont inégales à la montée et à la descente du signal.

Divers essais ont été effectués avec une tension plaque plus élevée sur la E406 : à partir de 150 volts il y a certes une augmentation du niveau de sortie mais cela s'accompagne de quelques restrictions. Pour remonter à 250 volts et plus afin de gagner quelque chose de vraiment notable (il faut quadrupler la puissance pour gagner un point "S"), il convient d'augmenter sensiblement la polarisation pour éviter de faire dissiper inutilement le tube.

Pour bénéficier pleinement des nouvelles possibilités il est également nécessaire d'augmenter la tension d'excitation délivrée par l'étage tampon, ceci n'étant pas forcément du goût des R36... De même il convient de revoir l'impédance du circuit plaque de la E406... Tout ceci nous éloigne du but initial, aussi avons nous décidé de laisser les choses en l'état ; et les tubes en paix...




Juste pour le souvenir... quelques schémas du début des années vingt.


années 20 (1)


années 20 (2)

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