2 - Amplificateur de puissance

La très faible puissance délivrée par notre montage limite généralement les liaisons à des QSO de proximité ; aussi, afin de ne pas (trop) ressentir la frustration consécutive à de nombreux appels restés sans réponse, avons nous cédé à la tentation du "linéaire"...

Entendons-nous par là le monstre tapi au fond de la station du radio-amateur moyen qui libère l'animal pour passer, en force, par dessus le signal des autres... (qui en font autant, résultat une belle cacophonie)... Non... fermement décidés à faire dans le QRP "à l'ancienne" notre ambition se limite aux quelques watts permettent d'améliorer les choses, sans plus.

Partant des 150 milliwatts de notre émetteur, devenu exciteur dans cette nouvelle configuration, il est parfaitement possible d'attaquer une tétrode moderne en classe AB1 pour en obtenir 50 à 100 watts HF voire plus.

Toutefois cela n'est pas vraiment intéressant : en premier lieu utiliser un tube moderne, postérieur aux années trente, est somme toute trop facile, et, de toutes façons, nous l'avons déjà fait vers 1965 avec une QQE06/40 attaquée par les 200 milliwatts d'un générateur B.L.U a transistors. Enfin un tube plus ancien, tel le 6L6 du milieu des années trente, est encore d'un emploi trop commode, capable de donner une dizaine de watts avec des tensions d'alimentations inférieures à 500 volts et une excitation grille faible.

Décidément il nous faut remonter plus avant pour trouver des "vieilleries" capables de redonner de l'intérêt au "challenge"... (puisqu'il faut parler ainsi de nos jours).

Du coup nous retombons sur les bonnes vieilles triodes avec forcément, vu l'âge des rescapées, peu de références disponibles... Après étude des diverses possibilités notre choix s'est porté sur la 10 (ou 10Y version "sécurité") ancêtre de la celèbre 45 très utilisée sur les amplificateurs HIFI d'avant guerre... la deuxième (cf. HIRAGA pages 28/29/55), elle existe aussi sous d'autres références aisément repérables par les valeurs peu courantes du chauffage filament 7,5 volts 1,25 ampère, associées à la tension plaque limitée vers 425/450 volts.

Bien que dotée de caractéristiques modestes tant au point de vue puissance dissipée que limite en fréquence (8 MHz à pleine puissance) cela n'est pas une raison pour ne pas lui redonner vie, d'autant que ces limitations font précisément l'intérêt du jeu...

Si Jean HIRAGA parle de qualités "subjectives" à propos des amplis à tubes triodes, nous invoquerons le coté "affectif" des choses... Notons en passant que les fabricants de tubes Américains devaient également être de gros sentimentaux pour sortir des tubes bigrilles vers 1955 (12K5-12AL8-12DL8) en redécouvrant le charme de la charge d'espace... quarante ans après les travaux de LANGMUIR... Quoi qu'il en soit, notre vénéré Maître Jean NAEPELS la cite, dans un article consacré à l'émetteur BC191/BC375 où elle assurait la fonction d'amplificatrice microphone, comme étant une "antique triode"... cette appréciation suffit, si besoin est, à justifier notre choix.

Intéressons nous de plus près à notre tube : divers auteurs (BERCHE 1935) ou lexiques de lampes (BRANS-R.C.A TT4) donnent plusieurs exemples d'emplois courants :

D'ores et déjà on note la puissance d'excitation relativement élevée demandée par le tube, du moins dans les classes B et C faisant appel au courant grille, pour obtenir un rendement qui reste somme toute assez modeste.




Avant d'aller plus avant il convient de procéder à diverses mesures afin de mieux connaître le tube faute de disposer, de nos jours, de ses caractéristiques détaillées. Après plusieurs relevés au lampemètre ou à la table traçante sur quelques tubes, nous obtenons diverses courbes définissant un tube moyen : Vp 415 volts - Ip 45 mA à Vg -25 volts , pente 2 mA/V, résistance interne 5000 ohms, coefficient d'amplification 8.


10Y (1)


10Y (2)




La faible puissance d'excitation (environ 150 mW) délivrée par notre précédent montage limite aux classes A ou B, mais sans courant grille pour cette dernière, afin de ne pas voir s'effondrer le niveau d'excitation dans les parties positives de l'alternance.

Une première approche, très séduisante, consiste à attaquer le tube sur la cathode... pardon le filament, dans la configuration grille à la masse qui nous rappelle certaine 811A grounded grid, zéro bias (Radio Ref Oct. 1964)... Au passage le montage grille à la masse nous débarrasserait d'un "énième" neutrodynage (exit CLIQUET...).

Le problème réside en fait dans l'adaptation entre les 50 ohms de notre exciteur et les quelques 1500 ohms du circuit d'entrée de la 10Y tout en délivrant un tant soit peu de puissance en sortie. Si la littérature actuelle ne s'apesantit pas vraiment sur le sujet, on trouve toutefois dans Radio Ref 12/91 de bons exemples, et il est possible de revenir aux anciens auteurs (TERMAN 1943/1955 ou RYDER 1957) qui analysent déjà cette question.

Ne voulant pas employer de self de choc filaments sur ferrite ou autre auto-transformateur d'adaptation sur tore du même métal, pour éviter au maximum les pertes ainsi que les effets indésirables du courant continu retournant à la masse à travers les bobinages, force est donc de nous rabattre sur des selfs bobinées sans noyau magnétique :


montage

Après divers essais nous arrivons au montage ci-dessus qui donne 40 volts crête à crête de 3,5 MHz sur le filament, sans haute tension sur la plaque. Mais cela tombe à 26 volts crête à crête avec la tension appliquée, donc à un niveau insuffisant pour correctement animer notre pauvre 10Y qui délivre peu de puissance ainsi que la formule ci-dessous le laissait craindre au départ : gain avec grille à la masse A=(µ+1)x(Rp/Rp+Ri)... hélas assez faible. Donc retour à des montages où une attaque en tension, sans courant grille, s'accomodera de notre faible puissance.




Envisageons la possibilité offerte par la classe B et pour faire bonne mesure un push-pull.

A priori le principal inconvénient est d'avoir à neutrodyner notre paire de tubes (coucou revoilà CLIQUET...) qui, avec 7 pF entre grilles et plaques risquent d'être tout sauf stables.

Un examen des courbes Vp/Ip du tube permet de dégrossir le problème avec un minimum d'effort en traçant une droite de charge pour diverses hypothèses.

Le choix du point de fonctionnement d'un tube amplificateur (basse fréquence en particulier) ne date pas d'hier. Paul BERCHE explique cela dans chaque édition de "Pratique et Théorie de la T.S.F." ; Marc SEIGNETTE détaille le "calcul des distorsions à priori" au début des années trente par analyse des caractéristiques d'un tube. L'examen des zones non rectilignes des tracés Ip/Vg ou Ip/Vp (parties paraboliques) lui fait définir les distorsions "carrées" et "cubiques" pour respectivement les harmoniques deux et trois. Il termine son analyse par "on frémit en entendant les constructeurs des nouvelles lampes BF 1934 annoncer 3 à 4 watts modulés à 10% de distorsion". Continuant dans la même voie il réhabilite quelque peu la triode, selon lui injustement calomniée, dans "la triode de puissance" : à grand renfort de courbes diverses et de droites de charge il démontre que le problème réside le plus souvent dans les variations de l'impédance de charge en fonction de la fréquence, à savoir le haut-parleur. Au passage il sépare le "trognon", entendez la base, de la partie "utile" des courbes... amusant non ? ... Après cela on comprend mieux pourquoi les Japonais amateurs de HIFI achètent a prix d'or, soixante ans après, les R120 - W300 ou autre triodes de puissance.


point de fonctionnement




Revenons à notre paire de tubes...

La classe B étant dans notre cas sans courant grille (B1) voit son rendement théorique limité à 39%. La puissance de sortie, comparable à celle d'un push-pull classe A des mêmes tubes, s'obtient cette fois avec un montage qui était autrefois appelé "push-push" par les anglo saxons... Paul BERCHE, toujours très attaché à l'exacte définition des choses de la TSF, nous confirme que nous avons ici deux tubes qui au lieu de "pousser" et "tirer" au même moment se contentent de "pousser" à tour de rôle sur chaque alternance du signal. Pousse-tire ou pousse-pousse... ne chinoisons pas... les électrons savent, eux.

Tout ceci nous éloigne du souhait initial de dégrossir les conditions de fonctionnement de notre "linéaire" pour plusieurs raisons :

Quelques restrictions venant d'une alimentation disponible, nous limiterons à 400 volts plaque vers 40 mA la puissance appliquée. Enfin nous tablerons au départ sur un point de fonctionnement au cut-off réel à -50 volts avec une excursion grille de 50 volts, soit 100 volts crête à crête pour les deux tubes. La tension de polarisation doit être ajustée suivant que les filaments sont alimentés en continu (figure 16) ou bien en alternatif via un transformateur à point milieu (figure 17). Dans le premier cas les filaments apportent une polarisation complémentaire de 0 à 7,5 volts suivant la zone émissive considérée, avec une réduction en rapport du courant électronique. Il suffit, en fait, de régler -Vg pour se placer à la naissance du courant plaque. Cette remarque est confirmée par l'examen des courbes des figures 13 et 15 relevées dans des conditions identiques, sauf le chauffage filament : on constate un glissement à gauche d'environ 5 volts pour celles du tube chauffé en alternatif.


schéma

Rappelons que pour les tubes de l'age héroïque, chauffés en continu par un accumulateur de 4 volts, la polarité du point de retour pour certains circuits n'était pas indifférente, le cas de la détection grille étant le plus connu. Par contre, vers 1925, on conseillait de chauffer les tubes en alternatif "afin d'user plus régulièrement le filament"... On peut pousser plus loin en alimentant toutes les électrodes en alternatif (G1-G2-plaque et bien sur le filament) sur le lampemètre METRIX 310CTR. La lecture de la notice de cet appareil est très instructive.




Le choix de la résistance de charge est un compromis entre plusieurs critères :


tolerie


Un peu de tolerie, deux tubes, une self...

Donc mettons en action grid-dip et fer à souder.




A l'intérieur il faut respecter la symétrie...




Après divers essais, en particulier sur les circuits d'entrée et de sortie nous arrivons au montage de la figure 21 : avec 400 volts et 26 mA ,soit un input de 10,4 watts, on obtient 3,15 watts haute fréquence, soit un rendement de 30% qui est honorable vis à vis du maximum théorique de 39%. Ceci étant à rapprocher des 23% de l'exemple en classe A cité plus avant, un éventuel push-pull donnant 3,5 watts en basse fréquence, alors que les 10Y sont plutôt limitées en haute fréquence. La tension de polarisation peut utilement être ajustée entre -50 et -45 volts pour peaufiner le rendement, sans pour autant glisser en classe AB1.

Le courant de repos pour les deux tubes est de moins de 1 mA avec -50 volts de polarisation, et monte à 3 mA avec -45 volts. Le courant plaque en pointe s'établit à 1/2 de 24 mAx3,1416 soit 38 mA ce qui correspond bien au point "B" où la droite de charge coupe la courbe "zéro volt" de la grille. Avec 3 watts au lieu des 100 milliwatts du projet initial nous avons fait la moitié (environ 15 dB) du chemin séparant des 100 watts pris comme référence.

Les résidus parasites, harmoniques deux et trois principalement, sont nettement en dessous de 30 dB sous le signal désiré. Il est à noter que cette atténuation correspond à ce qui est demandé par la FCC (PTT Américains) pour les émetteurs délivrant moins de 5 watts, 40 dB étant requis au dessus de 5 watts. On notera les six résistances 56 ohms soudées au ras des connexions actives des tubes : cela contribue à les stabiliser vis-à-vis d'auto-oscillations HF ou VHF ; encore que l'on puisse douter des vélléités des 10Y d'osciller en VHF...

Les pauvres nous ayant tout juste résisté, un temps, en oscillant vers 10 MHz grâce (?) aux selfs de choc grilles et plaques... au besoin revoir (et méditer) la fin du livre d'Edouard CLIQUET relative aux oscillations parasites... A nouveau un chassis de petite taille a été choisi pour vérifier qu'il était possible d'obtenir un montage stable malgré la proximité des circuits entrée/sortie. Jean NAEPELS ne disait-il pas "pourquoi se trouver à la tête d'un grand bazar pour ce qui aurait pu être réalisé dans une boite à sardines"...

Avant de terminer, un mot sur les alimentations figurant sur la photographie : réalisées en vue du relevé des courbes caractéristiques des anciennes triodes sur table traçante, elles délivrent des tensions filament - grille - plaque adaptées à nos fragiles loupiotes...

Par exemple la tension filament des 10Y s'établit (ou se coupe) graduellement, en quelques secondes, afin de limiter autant que possible les chocs thermiques dévastateurs...


ensembles





schéma

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