3 - Retour en arrière

Sur la base des quelques watts obtenus de notre amplificateur, et avant essais "sur l'air", il est possible de comparer la situation présente avec celle du début de l'émission d'amateur, en gros la période 1922/1925...

En premier lieu l'émetteur : il s'agissait toujours d'auto-oscillateurs, le plus souvent a une seule lampe, parfois deux ou trois en parallèle, quelques montages symétriques MESNY (push-pull si vous préférez...) font leur apparition vers 1924. La puissance alimentation variant de 25 à 500 watts est généralement fournie par le secteur alternatif 50 - 42 ou 25 Hertz transformé en 500 à 1500 volts directement appliqués au circuit anodique . Tension non redressée (ni filtrée bien sûr...) avec manipulateur télégraphique directement dans le primaire du transformateur haute tension... On trouvait toutefois quelques solutions de luxe : emploi d'un ensemble moteur/génératrice donnant de 500 à 1000 volts continus ; ou encore les alternateurs RAGONOT sans oublier le célèbre "Y" récupéré dans les surplus de la guerre... la première des deux. Avec ces alternateurs on obtient une émission modulée à fréquence musicale vers 500 à 1500 Hertz. Egalement quelques amateurs travaillent avec une haute tension continue issue du secteur après redressement et filtrage classiques. Certaines stations, de faible puissance, utilisant directement le secteur 220 volts continus présent sur quelques réseaux... Ces problèmes d'alimentation sont tels qu'en juillet 1927 la "TSF Moderne", dans un long article compare encore (à cette date ! ...) les mérites relatifs des sources de haute tension que nous venons d'évoquer ; en particulier sur le plan de la facilité de réception. Tout cela donnait plus ou moins de HF vers 200 puis 100 et enfin 25 à 80 mètres où eurent lieu les liaisons transcontinentales des années 1924/1925.


tx et rx 8BN


L'émetteur et le récepteur de 8BN... alias Paul BERCHE en 1924

Au vu des schémas et surtout réalisations pratiques, nous pensons qu'il y avait plutôt "moins" que "plus" de HF : si l'emploi d'une lampe d'éclairage comme charge fictive était déjà envisagé par certains, le couplage à l'antenne ou, le cas échéant, à son feeder était des plus... exotiques. Faute de mesures dignes de foi il est possible d'estimer entre 30 et 40% le rendement d'un tel émetteur, soit, en gros, de 10 à 100 watts HF à la sortie. Le signal émis présentait inévitablement plusieurs défauts : en premier lieu l'instabilité en fréquence consécutive à l'utilisation d'un auto-oscillateur de forte puissance. Ensuite les distorsions de la forme de l'onde, résultat des couplages nettement excessifs mais néanmoins nécessaires au démarrage de l'auto-oscillateur à chaque appui sur le manipulateur. A ce propos on citait le défaut de quelques oscillateurs qui ne démarraient pas bien sur CERTAINES lettres de l'alphabet ; ou encore des plaques de triodes passant au rouge cerise sur un trait "un peu long".

De nos jours il serait impossible de suivre à la trace un tel signal avec un récepteur sélectif, une trop large bande passante étant nécessaire, avec dégradation du rapport signal/bruit d'au moins 10 dB.




Revenons au signal provenant de l'émetteur et dirigeons nous vers l'antenne avec, au passage, une halte auprès du "thermique" d'antenne : destiné à mesurer le courant HF absorbé par l'antenne il était déjà l'objet de nombreuses critiques. Paul BERCHE (et d'autres) rappellent qu'il indique la somme du courant réellement rayonné par l'antenne et de celui perdu dans les résistances parasites des conducteurs ou isolateurs de l'aérien. Certains envoient deux ampères dans l'antenne qui consomme tout... sur place, alors que d'autres, avec quelques dixièmes d'ampères traversent l'Atlantique. 8AB contactait la Nouvelle Zélande (20000 km... ) avec quelques centièmes d'ampère HF malgré quatre lampes de 250 watts en parallèle, alimentées en 3000 volts alternatifs 25 hertz... Tout était bien sûr fonction des impédances en jeu, la lecture du courant seul ne signifiant pas grand chose. Pour l'anecdote on citait un proverbe (?) américain : "menteur comme un ampèremètre d'antenne".


récepteur 8AB


Récepteur de 8AB en 1922 (ampli BF 3 Ter...)

Arrivons à l'antenne : au début , de 1922 à 1924, on essayait un peu tout et, surtout, n'importe quoi... de la "cage" constituée par un faisceau de fils séparés de quelques dizaines de centimètres et reliés à leurs extrémités, le tout long de 10 à 30 mètres, ou bien encore de fils tendus à perte de vue. Le rapport entre les dimensions physiques et la résonance électrique était des plus incertain. Pour faire bonne mesure on employait également divers contrepoids ou prises de terre de fortune ; sans parler de leur adaptation à l'émetteur.


émetteur-récepteur 8AB


L'émetteur et le récepteur 8AB de la liaison France-U.S.A (Science et Vie 11/1924)

Par contre, en quelques années, les choses deviennent très "actuelles" : prenons comme exemple les essais de 8JF, Monsieur PEPIN (bien connu des amateurs de radio-commande vers 1945/1955) : avec un émetteur de 20 à 25 watts alimentation sur 32 mètres de longueur d'onde il donne, au début de 1927, les résultats obtenus avec trois antennes. En premier une "cage" désaccordée, 35 mètres de long, donne des résultats qualifiés de moyens. Ensuite un "Hertz" (selon 8JF) en fait une Conrad Windom d'environ 15 mètres de long, alimentée au tiers, située à 21 mètres du sol. Elle donnera des résultats sensiblement meilleurs tout au moins à l'émission. Enfin une "Lévy" de 15 mètres de long alimentée par un feeder de 31 mètres donne les meilleurs résultats, notamment avec les U.S.A. 8JF fera de nombreuses observations reliant la propagation sur l'Atlantique nord aux conditions météorologiques, dépression des açores en particulier. Coté réception une simple détectrice à réaction Schnell suivie d'une amplificatrice BF.




Revenons aux antennes de 8JF : le feeder d'une Hertz (façon 8JF...) travaille en ondes progressives, donc avec une intensité constante le long dudit feeder, dont la longueur peut être, en principe, quelconque. L'impédance étant voisine de 600 ohms il est facile de le relier à la self de plaque avec une prise et un condensateur d'isolement en continu. Par contre le feeder d'une Lévy travaillant en ondes stationnaires, ceci impose une longueur d'un quart d'onde pour attaque en tension à sa base (par exemple par un circuit accordé, donc en haute impédance) ou bien en passant à une demi onde ou ses multiples on attaque le feeder sous une impédance basse, telle que celle fournie par une ou deux spires couplées coté "froid" du circuit plaque de l'émetteur. Or, dans le cas présent, 8JF utilisait un émetteur symétrique (oscillateur Mesny) qui s'accomode parfaitement de la présence d'une self de couplage au centre du circuit des plaques. De plus le feeder de 31 mètres convient bien à l'onde de 32 mètres compte tenu de la correction de moins 2,5% en longueur. Par contre, dans le cas de la Hertz il y a tout lieu de penser qu'une prise éventuellement réalisée sur un seul coté de la self plaques devait perturber la belle symétrie du montage, l'efficacité du total s'en trouvant diminuée.

Un autre mode d'excitation, par exemple un circuit accordé conventionnel, avec prise à 600 ohms, couplé au final symétrique, étant plus ou moins perturbateur en raison de l'interaction des circuits. Quant à l'antenne "cage" apériodique cela devait être encore pire...

Conclusion : l'antenne Lévy, encore très utilisée de nos jours, faisait déjà bénéficier 8JF d'une bonne efficacité tant à l'émission (adaptation d'impédance, directivité) que bien sûr à la réception. Justement, coté réception, nous avons vu la simplicité des moyens mis en oeuvre chez 8JF : début 1924 la majorité des radio-amateurs utilisait une simple détectrice à réaction suivie d'une BF, un étage HF étant considéré comme inutile voire nuisible par certains en raison de la complication apportée. De fait la paire auto-oscillateur à l'émission et détectrice à réaction en réception était relativement équilibrée eu égard aux caractéristiques du signal à recevoir. Les superhétérodynes deviendront les récepteurs habituels de la plupart des stations seulement en 1926/1927, bien que dans la première partie des essais transatlantiques de 1922/1923 certaines stations Américaines en aient fait usage.

En mai 1931 Pierre LOUIS F8BF évoque les récepteurs de 1922/1923 et estime que ceux-ci (deux lampes) "ne valent certainement pas la moitié de ceux d'aujourd'hui"... que dirait-il de ceux de 1995 qui sont en fait uniquement limités par le bruit extérieur au récepteur, du moins en dessous de 30 Mhz... Mais le principal mérite de l'article de l'article se trouve dans l'interrogation au sujet d'un cycle de onze ans qui séparerait deux périodes de bonne propagation. Après les bons résultats des années 1922/1925, avec des moyens limités, les bandes amateurs étaient devenues bien moroses quelques années plus tard, malgré les progrès techniques, pour sembler se réanimer vers 1929/1931... On peut en effet admettre que la propagation était au rendez-vous des premiers essais qui, il faut le rappeler, étaient planifiés des deux cotés de la "mare aux harengs", le Docteur CORRET président le Comité Français.


cycle solaire

Encore que la période des premiers essais corresponde plutôt à un creux entre les deux maxima d'activité solaire (au sens radio...) de 1917 et 1928. Alors... ? Il est également vrai que l'enthousiasme des participants à ces essais qui veillaient des heures durant, les écouteurs vissés aux oreilles, compensait quelques déficiences techniques. Pour mémoire, en détection sous-marine sonar on distingue la sensibilité "opérateur alerté" de celle "opérateur passif", quelques décibels de mieux étant crédités dans le premier cas.


... En 1927 il était admis , au vu des résultats depuis 1922/1923, qu'il était possible de traverser l'Atlantique avec moins de 100 watts sur 100 mètres...



Conclusion... provisoire


Reste l'épreuve de vérité : l'essai "sur l'air" ...

Nous avons confié notre rejeton aux mains expertes de Claude LAUDEREAU (F9OE), grand graphiste devant l'éternel et notre ami depuis plus de trente ans (si... si... cela existe, n'en déplaise à certains...). Côté antenne une LEVY moyennement dégagée, alimentée en alternance par l'émetteur habituel de la station qui délivre une centaine de watts.

Des liaisons avec plusieurs pays européens (Angleterre, Belgique, Hollande, Pays de galle) sont réalisées avec un signal reçu par les correspondants en moyenne RST 559, soit 3 points "S" en dessous du report donné à l'émetteur courant, une diminution globalement logique au vu des puissances mises en jeu. Pour peu que Dame Propagation le veuille, et que les Mânes du Docteur CORRET soient avec nous, il est raisonnable d'espérer franchir la grande mare. Mais ceci est une autre histoire...

En fait, tout au long de la conception-réalisation-mise au point de ce petit émetteur nous avons beaucoup lu et relu les bons auteurs, longuement hésité sur divers schémas, bobiné nombre de selfs... Bref nous nous sommes bien amusés... N'est ce pas là l'essentiel ?

<<< Plan >>>