35 - Mesure du vide

La nature a horreur du vide...

Soit, mais tous les tubes électroniques font appel au vide pour permettre le libre passage des électrons entre la cathode et l'anode. Même ceux qui sont plus ou moins remplis d'un gaz particulier (néon-argon-hélium ou mercure vaporisé...) doivent être préalablement vidés de leur air avant introduction de ce gaz ou mercure liquide.

Electroniquement parlant ce "vide" recouvre une gamme partant de la pression atmosphérique, 760 mm de mercure, pour descendre à 10-6 mm de mercure. Avant de poursuivre deux remarques : la limite de 10-6 mm de Hg (mercure) citée ci-dessus, valable pour les tubes classiques, est très largement dépassée dans l'électronique moderne actuelle ; par exemple dans les klystrons de forte puissance ou encore les accélérateurs de particules pour la recherche nucléaire. Ensuite nous faisons référence au millimètre de mercure, plus communément appelé TORR, en hommage à TORRICELLI, au lieu du PASCAL ou autre millibar plus utilisés de nos jours, afin de rester en harmonie avec le matériel ancien dont c'était l'unité habituellement utilisée.

Si en physique certaines mesures peuvent être effectuées au moyen d'un seul instrument pour toute la gamme, il n'en est pas ainsi pour les pressions. Précisons ce point : un fréquencemètre moderne couvre aisément d'un cycle/seconde à plusieurs gigacycles, un voltmètre passe aussi facilement d'un millivolt à 1000 volts par le simple jeu des diviseurs d'entrée, soit au minimum six décades. Du coté des pressions une couverture de trois ou quatre décades est plus habituelle et correspond d'ailleurs, pour certains manomètres, aux diverses définitions du "vide" à mesurer que les techniciens ont repérées comme suit :

Voyons comment cet échelonnement peut concorder avec les techniques mises en oeuvre pour chaque fraction de la gamme.




MANOMETRES MECANIQUES

Pour les pressions les plus élevées, de 1 à 760 Torrs, on utilise l'action mécanique des molécules d'air animées d'un mouvement incessant qui viennent heurter les parois du récipient, donnant une "pression", consécutive à ces chocs, directement utilisable. Le plus connu des instruments de cette famille est le baromètre prédisant la pluie et le beau temps à partir d'une capsule en métal mince ondulé, plus ou moins déformée par les variations de la pression locale. Son ancêtre au long tube de verre rempli de mercure nous vient tout droit des expériences de TORRICELLI et représente le plus ancien des manomètres hydrostatiques.


tube en U

Dans la technique du vide appliquée aux tubes électroniques la zone entre les 760 Torrs de l'atmosphère courante et 5 ou 10 Torrs ne présente pas d'intérêt réel, le pompage des tubes étant très rapide sur cet intervalle. On trouve par contre des manomètres hydrostatiques simples pour l'espace 10-2 à 10 Torrs, région de transition entre les pompes primaires et celles assurant l'évacuation finale. Un simple tube en forme de "U" suivant croquis donne un manomètre différentiel tronqué, utilisable entre 1 et 40 Torrs.

Avec cette disposition la pression, au demeurant assez faible, régnant dans la canalisation au sommet du manomètre, appuie sur le mercure de la branche de droite du tube. Le niveau dans la branche de gauche se positionne à une différence "h" dont le poids équilibre la pression inconnue, un vide théoriquement parfait se trouvant au dessus de la colonne de gauche.




Pour des pressions inférieures on emploie les manomètres "à compression" sous une forme dérivée du type de MAC LEOD qui suit la loi de BOYLE-MARIOTTE. Dans sa version normale le manomètre MAC LEOD est utilisé jusque vers 10-5 Torr avec une bonne précision qui en fait une référence pour l'étalonnage des autres appareils. Il est malheureusement encombrant et fragile avec plusieurs kilogrammes de mercure parcourant des tubes en verre de petit diamètre. La version simplifiée, suivant croquis, respecte la règle Pression x Volume = Constante de BOYLE-MARIOTTE.


MAC LEOD

Après manipulation adéquate de ce manomètre le volume d'air contenu dans la chambre A se trouve comprimé dans le capillaire B où le mercure monte à un niveau d'autant plus élevé que la pression à mesurer est plus basse. Avec une échelle quadratique gravée sur le verre on apprécie les pressions entre 10 et 0,05 Torr avec une marge d'erreur d'environ 10%. On peut être surpris de cette erreur potentielle comparée à la très grande précision obtenue en mesure, par exemple, des tensions ou fréquences. Dans le domaine des basses pressions les mesures sont sujettes à quantité d'incertitudes.

Trois exemples parmi d'autres:




Tout ceci conduit à une grande modestie des techniciens du vide qui admettent une erreur pouvant aller de 50 à 100%, en particulier dans la mesure des très basses pressions rencontrée dans les applications de "l'ultra vide".

Quoi qu'il en soit le Vacuoscope de GAEDE est un manomètre d'emploi faci1e pour la gamme 30 à 0,05 Torr par juxtaposition d'un manomètre différentiel à tube tronqué et d'un manomètre à compression simplifié.


Vacuoscope de GAEDE

Les photographies ci-dessus montrent les deux positions de mesure à titre indicatif ; la tubulure d'entrée n'étant pas reliée à une installation sous faible pression, les niveaux dans les tubes ne sont pas significatifs.

Il faut noter que la famille des manomètres à compression ne permet pas de suivre les variations de pression, il est nécessaire de déplacer verticalement (ou de basculer suivant les cas) le réservoir de mercure chaque fois que l'on veut effectuer une mesure de pression.






MANOMETRES THERMIQUES

Pour le vide moyen on trouve les manomètres thermiques employés entre 1 et 10-3 Torr.

Ils utilisent la variation de convection d'un élément chauffé placé dans une enceinte où règne une faible pression.


schéma

Suivant la figure ci-dessus on place un fil très fin dans l'axe d'un tube, un courant, maintenu constant, traverse ce fil et en élève sensiblement la température, jusque vers 100 à 150 degrés.

Cette température se stabilise à un niveau qui dépend des échanges par :

La convection est d'autant plus faible que la pression diminue, ceci étant sensible dans l'intervalle de 1 à 10-3 Torr, par suite le fil chauffe encore plus pour atteindre un nouvel équilibre qui se traduit par des variations de résistance mises en évidence par un pont résistif pré-étalonné pour des valeurs autour de 150 ohms. En pratique le fil, dont le diamètre est de l'ordre du centième de millimètre pour diminuer l'inertie thermique, est ondulé afin d'en augmenter la longueur, donc la surface d 'échange.


structure

Une photographie prise sur un projecteur de profil montre la structure interne d'une jauge de PIRANI, du nom du créateur de ce type de capteur. Le "pas" des ondulations est de 0,1mm...




On notera dès à présent l'association d'un capteur avec une électronique plus ou moins élaborée, ici un simple pont de Wheatstone, pour obtenir un manomètre ; ceci en comparaison des manomètres mécaniques ou hydrostatiques qui combinent les fonctions capteur/indicateur.

On trouve les jauges de Pirani sous diverses présentations, généralement dans la forme d'un tube de verre ou métal, muni d'un connecteur à deux broches à un bout, l'autre extrémité étant raccordée à l'installation sous vide.

Deux exemples sont présentés sur la photographie de famille des capteurs.

Une autre version courante de manomètre thermique utilise des thermo-couples chauffés par des résistances ; la tension délivrée par le thermo-couple étant à nouveau liée à la conduction/convexion entre ces éléments, le tout dépendant encore une fois de la pression dans l'enceinte...

Pour en terminer avec ce genre de capteurs en voici deux qui, avec leur bouchon miniature en liège, vous ont un petit air de bouteille de Bordeaux.


in vino véritas


In Vino Véritas... ? ...

L'illusion des vapeurs d'alcool se dissipe définitivement à la vue du culot américain a 4 broches reliant ces jauges au pont de mesure.

Marquées du sigle de la C.G.R. (Compagnie Générale de Radiologie) elles sont employées dans les installations de pompage des tubes à rayons X auxquelles elles sont raccordées par un "cône rodé" situé à la partie supérieure.

A ce propos il n'est pas inutile de rappeler que les tubes a rayons X, qui sont apparus dix ans avant la première triode, poursuivent leur carrière en bénéficiant de tous les progrès de la technique du vide poussé à laquelle ils ont largement contribué.




MANOMETRES A IONISATION

Des électrons accélérés par une différence de potentiel entre deux électrodes, et qui rencontrent des molécules d'air, se transforment en ions suite a ces chocs... en simplifiant...

On distingue deux types de manomètres basés sur ce principe : ceux à cathode froide, généralement appelés manomètres a décharge, et ceux à cathode chaude. Le premier type, du moins dans sa version simple qui seule nous intéresse, découle directement des tubes de Geissler :

Dans diverses éditions de "Pratique et théorie de la T.S.F" Paul BERCHE consacre quelques lignes aux décharges électriques dans les gaz raréfiés :

Si on dispose aux extrémités d'un tube de verre deux électrodes alimentées par une tension de quelques milliers de volts, on observe alors une décharge lumineuse dont l'aspect varie en fonction de la pression régnant dans le tube. Utilisable entre 10-2 et 10 Torrs ce manomètre très simple est employé depuis le début de la fabrication des lampes... d'éclairage.

Il est peu coûteux, très robuste car ne craignant pas les remontées brutales de pression consécutives, par exemple, à une rupture de canalisation.

La robustesse de ce manomètre est à comparer aux désagréments rencontrés dans l'emploi des manomètres utilisant du mercure en cas de bris des tubes en verre : au moment d'une brusque remontée de la pression dans un manomètre tronqué on risque de voir le mercure éclater le fond du tube en remontant. Le principal défaut des manomètres à décharge est d'être peu précis puisque leurs indications (luminosité-stratifications-espaces sombres...) doivent être interprétées par l'observateur pour estimer la pression. Il est possible de déterminer la pression approximative par mesure du courant traversant le tube durant la décharge. Toutefois, le plus souvent, on se borne à poursuivre le pompage jusqu'au moment où le tube ne montre plus de décharge lumineuse.

Il convient de limiter, par une résistance en série, la puissance dissipée par ce genre de manomètre sous peine de voir du métal provenant des électrodes se vaporiser sur la paroi interne du tube... Mea Culpa pour le tube en T visible plus loin, bien noirci par le fort courant longtemps infligé à ses électrodes.


décharges

Les photographies donnent l'aspect de la décharge dans un tube en "T" vers 1 Torr avec 2000 volts entre ses électrodes (pas évident à photographier...). Ce manomètre ne permet pas même l'interprétation d'un vide inférieur à 10-3 Torr, sauf dans sa version moderne, dite de PENNING, qui utilise un champ magnétique. Toutefois il s'agit d'un manomètre plus récent sortant du cadre restreint des anciennes technologies.




Dans le manomètre à ionisation à cathode chaude les électrons sont émis par un filament porté a une température élevée, par exemple du tungstène.


cathode chaude

Dans ces conditions on obtient aisément un courant électronique notable avec une tension positive modérée sur l'anode. Une troisième électrode, alimentée par une tenson négative, met en évidence le courant ionique résultant de la collision contre les molécules de gaz (de l'air dans le cas le plus habituel). Un exemple de construction classique de cette jauge suivant croquis ci-dessus rappelle singulièrement les anciennes triodes TM. De fait l'emploi d'une triode réorganisée en jauge à vide est presque aussi ancien que la triode elle-même, les fabricants de lampes utilisant, après fermeture du tube, le courant grille résiduel comme indication du degré de vide obtenu plus ou moins poussé. Les lueurs bleues ou roses observées au cours du vidage du tube se produisant, comme dans un tube à décharge conventionnel, aux environs d'un Torr. Rappelons que certains auteurs, dans les "temps héroïques" déconseillent l'emploi de triodes au vide trop poussé car moins bonnes dans l'emploi en détectrice, ou encore en raison de l'utilisation plus intensive du filament durant le vidage, ce qui en abrégeait d'autant la durée (cf. TSF Moderne 4/23). Une triode courante, alimentée sous 80 volts plaque et -2 volts grille, présente un courant grille de 0,03 microampère pour un tube parfaitement vidé. Ce courant résiduel pouvant monter à 2 microampères pour un vidage imparfait, soit presque cent fois plus, sans inconvénient notable.


jauge courante

On retrouve la structure coaxiale d'une jauge courante avec la photographie prise à nouveau sur un projecteur de profil : l'anatomie interne d'un modèle de la C.G.R. déjà citée montre, au centre, le filament rectiligne de la "cathode", la spirale du collecteur de courant ionique et enfin l'anode réalisée sous forme d'un grillage à mailles fines.

Le tout, sur une embase Rimlock, se retrouve sur la photographie de famille des jauges manométriques, avec un exemplaire muni de la bride de raccordement vissée sur l'enceinte à vide.

Un examen attentif des caractéristiques du type JA10 MAZDA montre que, en pratique, on applique une tension positive d'environ 250 volts sous 10 mA à la grille ; la plaque habituelle, alimentée sous -30 volts, devenant le siège d'un courant ionique se chiffrant en fraction de microampère.





jauges à ionisation




Cette inversion de la polarité habituelle des lampes augmente la sensibilité de la jauge en mettant à profit les oscillations des électrons de part et d'autre de la grille, ceci augmentant leur parcours et par la même la probabilité de choc avec une molécule.


schéma

Le schéma simplifié ci-dessus montre donc la disposition courante des tensions alimentant les jauges a ionisation classiques. Aux plus basses pressions mesurables le courant ionique, qui est devenu très faible, impose des résistances d'isolement des électrodes relevant de la technique des tubes électromètres.

Bien que la sensibilité de cette famille de jauges puisse, théoriquement, être calculée à partir de ses dimensions physiques, il convient de procéder à un étalonnage par compararaison avec un autre manomètre, par exemple du type MAC LEOD, pour obtenir une bonne précision. Le domaine d'utilisation s'étend de 10-3 à 10-6 Torr. Avec des pressions supérieures à 10-3 Torr il y a risque de détérioration de la cathode par oxydation, en dessous de 10-6 Torr on fait appel à une version plus moderne, la jauge BAYARD-ALPERT, apparue vers 1950. Il existe de nombreux autres types de jauges, particulièrement pour l'ultra-vide, mais leur analyse dépasse largement cette description générale.

Terminons avec cette photographie de famille des différents types de jauges évoqués dans les chapitres précédents.


différentes jauges


A gauche deux jauges triodes à cathode chaude, à droite deux jauges de Pirani


En arrière plan un tube à décharge en T dont la partie gauche est métallisée consécutivement à une dissipation excessive...

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